La valorisation de l’usufruit : quelle méthode adopter ?

Une valorisation correcte de l’usufruit constitue le préalable d’une opération réussie, notamment pour éviter la taxation d’une rémunération en nature dans le chef du dirigeant et/ou le rejet de la déduction des frais encourus par la société.  Or, on le sait : après avoir massivement adopté la formule RUYSSEVELDT, le fisc entend désormais y substituer la formule pratiquée par le Service des Décisions Anticipées (« SDA ») depuis début 2016.  La différence porte sur le taux d’actualisation retenu, qui s’y voit renforcé et amène à des valorisations moindres de l’usufruit.  La récente baisse des taux financiers à long terme explique sans doute ce revirement : sous la formule initiale, ces taux faibles entraineraient des survalorisations.  Toute rétroactivité  apparaît cependant d’ores et déjà exclue.   La présente revient sur ces méthodes et leur pertinence.

1.   Description du régime

1.   Principe – valorisation à « valeur réelle » : La législation en matière d’impôts sur les revenus ne prévoit pas de méthode particulière de valorisation d’un usufruit. Il est toutefois communément admis en cette matière qu’il convient de se référer à la « valeur réelle » (ou « valeur économique ») de l’usufruit et que celle-ci doit être évaluée « sur la base des données factuelles et juridiques propres à chaque cas »[1]. À cet égard, l’administration indique encore que « le produit actualisé des locations peut constituer, le cas échéant, une de ces données » et aussi qu’ « il ne faut pas nécessairement se référer aux règles mentionnées dans le Code des droits d’enregistrement »[2]. La jurisprudence confirme ces principes et que ces dernières règles ne valent normalement que « dans le seul cadre des droits d’enregistrement » (cf. not. Mons, 30 novembre 2009, fiscalnet.be, confirmant Trib. Mons, 28 février 2005, Fisc. Koer., 2005, no 386). Loin est le temps où la répartition s’effectuait sur base de la règle 80/20 (plafond issus dudit Code des droits d’enregistrement), cependant que les constructions usufruits ainsi valorisées  encore en cours prêtent à discussion (cf. point 24). 2.   Circonstances factuelles : Conformément à ce principe de valorisation à valeur de marché, le Service des Décisions Anticipées (« SDA ») indique systématiquement que la valorisation doit, entre autres, tenir compte de « l’état dans lequel se trouve le bien immeuble, des travaux encore à effectuer, des frais générés par la constitution de l’usufruit (frais de notaire, droits d’enregistrement…), ainsi que de l’affectation effective donnée par la société au bien immobilier (utilisation propre, mise en location, usage intensif, usure…) » (cf. p.ex. : Décision anticipée 2017.372 du 6 juillet 2017). 3.   Méthode de base : Vu la difficulté de trouver des points de comparaison portant directement sur des usufruits, leur valeur se détermine plus aisément sur base des revenus qui en sont attendus tout au long de leur durée (i.e. méthode des « discounted cashflows »)[3]. Cette méthode résulte de la formule mathématique classique d’actualisation d’une rente à durée déterminée (cf. infra). 4.   Aperçu des variantes : Cette méthode de base a été, sur les dernières années, déclinée sous différentes variantes, tantôt privilégiées, tantôt écartées par l’administration ; certaines variantes sont issues de législation (e.g. formule du Code des droits d’enregistrement), d’autres avancées par certains praticiens (e.g. formule « VERHOEYE », formule « VERHEYDEN », formule « RUYSSEVELDT »), et la plus récente promue par l’administration fiscale (e.g. formule du « SDA »). Plus précisément, ces variations aboutissent à tenir  diversement compte (i) de la « valeur locative brute » du bien, (ii) des « frais » incombant à l’usufruitier, (iii) du « rendement financier », (iv) de « l’inflation », et/ou encore (v) de risques  spécifiques à l’usufruitier (p.ex. : la prime d’illiquidité et/ou risques locatifs). Ces formules affectent évidemment directement la valeur retenue pour l’usufruit, et sont passées en revue ci-après[4]. 5.   Pertinence des variantes : Le principe de la valorisation économique de l’usufruit conduit en réalité à n’écarter a priori aucune méthode, et celles-ci ont toutes été à un moment ou l’autre suivies par les juridictions[5]. De même, sur les dernières années, la méthode RUYSSEVELDT était-elle bien acceptée tant par le fisc que le SDA.  Début 2016, ce dernier a cependant adopté sa propre approche et, désormais, le fisc souhaite-t-il la reprendre à son compte. Comme bien résumé dans la décision ci-avant, c’est cependant à l’administration qu’il revient de démontrer, sous le contrôle des juridictions, « non qu’il existe des méthodes d’évaluation aboutissant à un prix de vente inférieur au prix retenu, mais qu’aucun mode d’évaluation raisonnable et conforme à la réalité économique ne permet d’aboutir à un montant égal ou supérieur » (cf. Trib. Namur, 29 avril 2015, F.J.F., 2015/220 ; Trib. Liège 6 juin 2002, F.J.F., 2004/36[6]). 6.   Rétroactivité – bonne administration : La volonté du fisc de passer de la méthode « RUYSSEVELDT » à la méthode SDA, supposée aboutir à des valorisations moindres, pose particulièrement questions et inquiétudes pour les contrats en cours. Le Ministre a cependant déjà confirmé que « il ne pouvait être question d’une rétroactivité » et que « la nouvelle méthode ne peut être mise en œuvre qu’après avoir été publiée »[7]. Une telle rétroactivité s’exposerait évidemment à la critique au regard des principes de sécurité juridique et de bonne administration. Ainsi, le principe de confiance légitime, qui découle de ces deux principes, implique-t-il notamment que « le citoyen doit pouvoir faire confiance à ce qu’il ne peut concevoir autrement que comme étant une règle fixe de conduite et d’administration » et que « les services publics sont tenus d’honorer les prévisions justifiées qu’ils ont fait naître dans le chef du citoyen »[8].

2.   La méthode en droits d’enregistrement / succession

7.   Description : Conformément à l’article 47 du Code des droits d’enregistrement[9], et nonobstant certains plafonds, la valeur vénale (d’application si elle n’est inférieure à la valeur conventionnelle) est représentée en capitalisant au taux de 4 % le « revenu annuel du bien ou, à son défaut, sa valeur locative ». Afin de faciliter ce calcul, l’administration fournit un tableau de la valeur capitalisée de 1 EUR (cf. Cours prof., Brux., II, 2010, point 31) ; ces valeurs résultent simplement de la formule classique d’actualisation d’une rente constante à durée limitée : VU = RAB x [1/TA] x [1-[(1/(1+TA)]n] Où :   VU = valeur de l’usufruit temporaire ; RAB = revenu annuel brut ; TA = taux d’actualisation = 4% ; n = durée de l’usufruit. En l’occurrence, si l’actualisation en elle-même est classique, sa spécificité est de partir de la « valeur locative brute » du bien[10] ; ce qui donnera naturellement lieu à des montants plus élevés qu’à partir d’une « valeur locative nette », à savoir après déduction de différents frais de la valeur locative brute ; la détermination du revenu annuel net est détaillé au Titre 7 (cf. infra). La valeur ainsi obtenue est par ailleurs plafonnée, notamment à 80 % de celle en pleine propriété (art. 47, al. 3, du Code enr.). Pareil départ à la valeur brute est généralement écarté, tant par le fisc que les tribunaux ; dans ses décisions, le SDA précise systématiquement que cette méthode est « inappropriée » à l’impôts sur les revenus (cf. p.ex. : Décision anticipée 2017.372 du 6 juillet 2017). 8.   Variante en droit des successions : En droit des successions, c’est également la formule utilisée avec la nuance que le revenu annuel y est en règle fixé forfaitairement à 4 % de la valeur vénale de l’immeuble en pleine propriété (cf. art. 21, VII, du Code des droits de succession).

3.   La méthode VERHOEYE

9.   Description : La méthode proposée par cet auteur[11] s’appuie sur ladite formule d’actualisation, sous réserve de sa prise en compte du : –       revenu annuel « net » (cf. infra) ; –       taux d’actualisation de « marché ». Ainsi paramétrée, cette formule peut amener à des résultat à la hausse (e.g. taux d’actualisation inférieur à 4 %) ou à la baisse (e.g. vu la prise en compte de la seule valeur locative nette).

4.   La méthode RUYSSEVELDT

10.Description : Fin des années nonantes, MM. RUYSSEVELDT et JANSSENS[12] ont proposé de tenir compte tant de l’inflation que du rendement financier dans les calculs d’actualisation ; aussi, se réfèrent-ils à la formule d’actualisation d’une rente croissante à durée limitée : VU = RAN x [1/(r-i)] x [1-[(1+i)/(1+r)]n] Où :   VU = valeur de l’usufruit temporaire ; RAN = revenu annuel net ; r = rendement financier anticipé ; i = taux d’inflation anticipée ; n = durée de l’usufruit. L’administration acceptait en principe ce mode de valorisation jusqu’il y a peu dans ses instructions internes et nombre de décisions anticipées en ont fait l’application, permettant de relever les paramètres tenus pour acceptables. 11.Revenu annuel « brut » / « net » : Au départ du calcul de l’actualisation se trouve la « valeur locative brute » de l’immeuble, à savoir sa valeur locative sur le marché et/ou sa valeur d’utilisation pour l’usufruitier, après défalcation des frais (cf. infra, Titre 7). Un rendement plus élevé amènera évidemment à une valorisation plus élevée de l’usufruit, et vice versa. 12.Rendement financier anticipé (r) : Ce taux est classiquement déterminé comme : –       le taux OLO correspondant à la durée de l’usufruit ; –       majoré d’une prime pour illiquidité (en gén. entre 1 % et 2,5 %)[13]. Le taux OLO sert de référence de marché pour un investissement à long terme, tandis que la prime d’illiquidité reflète le risque additionnel pour l’usufruitier de la liquidité limitée de son investissement. Un taux d’actualisation plus faible amène naturellement à une valorisation de l’usufruit plus élevée, et vice versa[14]. À cet égard, il est intéressant de remarquer que ce taux financier a diminué de près de 80 % depuis fin 2011 (passant de 4% pour l’OLO à 10 ans, proche de sa moyenne historique, pour tourner autour de 0,76 % actuellement)[15], avec les conséquences que cette évolution est censée avoir pour les usufruits existants ou à constituer. 13.Taux d’inflation (i) : Ce taux est classiquement déterminé sur base de l’inflation actuelle (p.ex. 1,59% pour l’année 2017) ou moyenne sur les 10 dernières années (p.ex. 1,91%)[16]. Ce taux vise à tenir compte du caractère indexé des revenus futurs sur la durée de l’usufruit ; dès lors, il amène à une valorisation de l’usufruit d’autant plus importante que ce taux est élevé. 14.Observations : La nécessité de tenir compte de l’inflation n’est pas unanimement admise ; aussi, d’aucuns estiment que celle-ci ne reflète qu’une dépréciation monétaire (et non une réelle augmentation de la valeur locative) dont il ne saurait être tenu compte[17]. En réalité, nous semble-t-il, vu que le revenu locatif est indexé sur l’inflation (à savoir, un revenu « net d’inflation ») tandis que le taux des OLO ne l’est pas (à savoir, un revenu « brut d’inflation »), la logique financière du calcul d’actualisation commande de tenir conjointement compte de ces deux paramètres (comme prescrit dans la formule prédécrite).

5.   La méthode SDA

15.Description : En 2016, suivie désormais par l’administration, le SDA a abandonné la méthode RUYSSEVELDT au profit d’une actualisation fixée au même taux que le rendement annuel du bien ; la variation désormais systématiquement appliquée est la suivante : VU = RAN x [1/(TA)] x [1-[(1/(1+TA)]n] Où :   VU = valeur de l’usufruit temporaire ; RAN = revenu annuel net ; TA = RA / PP (soit, le rendement net du bien) ; PP = valeur de la pleine propriété du bien. 16.Taux de rendement / d’actualisation : L’évolution prônée par la formule porte ainsi sur le seul taux d’actualisation, qui se voit aligné sur le rendement net du bien. Ce taux vise à refléter le risque financier de l’actif sous-jacent, plutôt que le coût d’opportunité dudit investissement pour les parties (cf. formule précédente). À titre indicatif, le rendement moyen des décisions rendues sous cette nouvelle formule s’élève à environ 6 % avec, comme extrêmes, 4,86 % (cf. Décision anticipée n°2016.188 du 24 mai 2016) et 7,67 % (cf. Décision anticipée n°2016.025 du 8 mars 2016). Il n’y a là qu’un pas à penser que ce revirement de l’administration trouve son origine dans la baisse des taux financiers à long terme, qui aura tiré à la hausse les valorisations données par la formule précédente (cf. point 12). 17.Observations : Sur un plan strictement mathématique, et outre de pallier adroitement à cet effet indésirable, l’alignement du taux d’actualisation sur le rendement locatif apparaît séduisant dans la mesure où, à durée tendant vers l’infini, la valeur de l’usufruit tend à correspondre à celle de la pleine propriété du bien[18]. Sur le plan financier, rien n’apparait cependant exiger un tel alignement[19]. D’abord, à l’infini, la valeur de l’usufruit ne devrait pas correspondre à celle de la pleine propriété, puisque le nu-propriétaire conserve des obligations à l’égard du bien (not. la charge des grosses réparations) ; une telle conséquence apparaît donc peu justifiable[20]. Par ailleurs, l’utilisation d’un taux d’actualisation différent du rendement de l’immeuble influencera certes la proportion de valeur respective des droits démembrés, mais  n’aboutira pas, pour des usufruits de durées normales, à ce que leur valeur excède celle de la pleine propriété et, dès lors, ne remet pas en cause le « postulat » de l’équivalence entre la valeur en pleine propriété et celles de ses droits démembrés. Plus généralement, outre d’associer le revenu et son actualisation, plutôt que de refléter le coût d’opportunité de l’investissement, cet alignement du taux d’actualisation sur le rendement du bien fait autant l’impasse sur l’impact tant de la durée du droit d’usufruit (i.e. l’illiquidité) que sur la nature du bien (dont la valeur n’est pas directement liée à son rendement locatif). Aussi, cet alignement implique qu’à durée et revenu annuel égaux (e.g. resp. 20 ans et 12.000 EUR), l’un payera moins cher son usufruit (e.g. 163.083 EUR, si le rendement est 4 %) que l’autre (e.g. 178.529 EUR, si le rendement est 3 %), ce qui peut aussi paraître difficilement justifiable[21]. Enfin, au surplus, sous la formule légale de conversion de l’usufruit du conjoint survivant (cf. nouvel article 745sexies, § 3, du Code civil, introduit par la loi du 22 mai 2014), le rendement et le taux d’actualisation y sont également forfaitairement alignés, mais par référence au taux OLO moyen de maturité égale à celle de l’usufruit[22]. En l’occurrence, c’est donc bien le taux OLO qui y est pris pour l’actualisation[23]. 18. On le voit : même si la formule du SDA a ses mérites, l’on ne saurait trop rappeler que, comme celle de l’article 745sexies, précité, ou celle du Code des droits d’enregistrement, elle reste partiellement (i) forfaitaire, (ii) critiquable conceptuellement, et (iii) nullement contraignante vis-à-vis des juridictions.

6.   Et la valorisation de la nue-propriété ?

19.Postulat de base : L’axiome est habituellement admis que la valeur en pleine propriété égale à la valeur de l’usufruit et de la nue-propriété (PP = USU + NP). L’usufruit et la pleine propriété étant plus directement valorisables, la nue-propriété est déterminée par leur différence. Inférer la valeur de ce droit au départ de la valeur estimée de l’immeuble à l’expiration de l’usufruit apparaît par contre plutôt hasardeux. Néanmoins, l’administration entend parfois vérifier que le rendement des opérations (« Return on Investment » et/ou « Internal rate of return ») est comparable pour l’usufruitier et le nu-propriétaire[24]. Ceci peut difficilement être tenu pour autre chose qu’un test.

7.   Passage du rendement « brut » au rendement « net »

20.Revenu annuel « brut » / « net » : Au départ du calcul de l’actualisation se trouve en règle la « valeur locative brute » de l’immeuble, à savoir l’estimation du loyer que l’usufruit pourra en retirer par sa mise en location auprès d’un tiers et/ou, si tel est le cas, sa valeur d’exploitation en propre pour l’usufruitier. De cette valeur brute, éventuellement déjà majorée compte tenu de travaux à effectuer[25], sont défalqués les frais restant à charge de l’usufruitier à l’effet d’obtenir la « valeur locative nette », à savoir classiquement : –       le précompte immobilier (à valeur réelle) ; –       les frais d’assurance (à valeur réelle) ; –       un forfait pour les réparations / entretien ; –       un forfait pour le risque/chômage locatif. 21.Forfaits appliqués par le SDA : Comme relevé ci-avant, la détermination de la valeur locative « nette » constitue un paramètre sensible de la valeur à retenir pour l’usufruit ; pour un tableau reprenant quelques estimations acceptées récemment, voy. le pdf. Plus faiblement sont évalués ces éléments, plus élevée demeure la valeur locative nette et, dès lors, la valeur de l’usufruit.

8.   Comparatif des méthodes

22.Exemple : Un tableau reprend la valorisation (en % de la pleine propriété) selon la durée de l’usufruit ; l’hypothèse est basée sur un rendement annuel net de 5 % (après déduction de 20 % de frais), un rendement financier (r) basé sur les taux OLO + 2,5 % de prime d’illiquidité, et le taux d’inflation (i) actuel de 1,59 % ; pour la méthode SDA, le taux d’actualisation est de 5 % ; il reprend également les valorisations validées dans les décisions du SDA selon la formule RUYSSEVELDT (« <2016 ») ou sa formule propre (« >2016 ») ; pour consulter ce tableau, voy. le pdf. Par exemple, pour un bien d’une valeur de 100.000 EUR, avec un rendement annuel net de 5.000 EUR et une durée de 20 ans, la valeur de l’usufruit s’établit à :
  • Méthode des droit d’enregistrement : 80.000 EUR ;
  • Méthode RUYSSEVELDT : 79.581 EUR ;
  • Méthode SDA : 62.311 EUR.
Par rapport aux décisions rendues, l’on constate qu’une méthode n’aboutit pas systématiquement à des résultats plus avantageux qu’une autre et que les circonstances de fait conservent un rôle déterminant.

9.   Questions particulières

23.Impact de travaux encore à réaliser : Il est intéressant de relever que, dans des décisions récentes, le SDA a accepté une valorisation de l’usufruit tenant compte de sa valeur locative future après certains travaux à prendre en charge par l’usufruitier ; le coût des travaux y est alors déduit de la valeur ainsi relevée pour usufruit[26]. 24.Construction à ériger par l’usufruitier : À relever également la possibilité pour la société usufruitière d’un terrain d’y ériger des bâtiments et d’en céder la nue-propriété au nu-propriétaire[27]. En d’autres termes, tandis que ce fait parfois l’objet de discussions lors de contrôles fiscaux, ces décisions approuvent la valorisation de l’usufruit par référence à une valeur locative future de l’immeuble. 25.Évaluation en cours d’usufruit : Dans une décision récente, où la société avait encore acquis un usufruit de 15 ans sur base du forfait 80/20, le SDA accepte que la cession s’effectue sur base de la même répartition : l’usufruit y est dès lors valorisé à 80 % x valeur en pleine propriété x durée résiduaire / 15 ans[28]. 26.Remarque générale : Plus fondamentalement, il est régulièrement critiqué que les méthodes de calcul à partir du « rendement locatif » tenaient essentiellement compte de ladite valeur locative (ius fruendi) et non de la valeur d’usage du bien (ius utendi)[29], qui peut être plus élevée pour l’usufruitier. C’est un aspect auquel il faut également être attentif dans la détermination de cette valeur.

10. Conclusion – prospectives

27. Le principe de base reste l’évaluation à « valeur de marché » de l’usufruit, à déterminer au « cas par cas », selon les circonstances de la cause, et sans qu’une formule s’impose légalement. Même si la formule du SDA constitue la nouvelle norme aux yeux de l’administration, l’évolution et la diversité des formules examinées ci-avant forcent deux observations : (i) le mode de valorisation du droit d’usufruit tend vers toujours plus de rigueur, et, néanmoins, (ii) chaque formule présente un caractère forfaitaire plus ou moins prononcé, issus de conceptions sujettes à débats. Comme souvent, il ne fait guère de doute que la question de la valorisation donnera encore lieu à différents débats et que les tribunaux seront amenés à affiner leurs positions. Par ailleurs, à relever certaines décisions ouvrant des perspectives intéressantes dans le cas où il est souhaité mettre d’emblée à charge de l’usufruitier certains travaux et/ou d’opération portant sur des immeubles encore à ériger. Eric-Gérald Lang – info@langlegal.be – Tous droits réservés. [1] Q.P. n° 467 de Mme Wouters du 14 juillet 2011 ; Q.P. n°22 de Mme Claes du 29 avril 2008 ; Q.P. n° 737 et 738 de M. Van der Maelen du 18 avril 2005 ; Q.P. n° 645 de M. Van der Maelen du 23 février 2005. [2] Ibid. [3] Sur la valorisation de l’usufruit, voy. partic. : Ph. SALENS, « De waardering van onroerende zakelijke rechten (her)bekeken door een fiscale bril », Not. Fisc.M., 2016/4, pp. 102 et ss. ; P.-Fr. COPPENS, V. DECKERS, « Développements récents en matière d’utilisation des ‘constructions usufruit’ à des fins fiscales », J.T., 2007, n°6261, pp. 213 et ss. [4] N’est considéré en l’occurrence que la valorisation de droits d’usufruits d’une durée limitée dans le temps. [5] Voy. : pour la méthode SDA : Trib. Louvain, 8 avril 2016, Fisc. Koer., 2016, p. 610 ; pour la méthode RUYSSEVELDT : Trib. Louvain, 1 décembre 2017, R.G. 16/1758/A, fiscalnet.be ; Trib. Luxembourg, 26 avril 2017, R.G. 17/105/A, Cour. Fisc., 2017, 9, 650 ; Anvers, 10 janvier 2017, R.G. 2015/AR/1177, fiscalnet.be ; Trib. Anvers, 6 janvier 2017, R.G. 15/5594/A, fisconet.be ; Anvers, 3 mars 2015, R.G. 2013/AR/3410 ; Gand, 30 septembre 2014, R.G. 2013/AR/1029 ; Gand, 9 septembre 2014, R.G. 2013/AR/1450 ; pour la méthode des droits d’enregistrement / succession : Gand, 10 novembre 2015, R.G. 2014/AR/1192, fisconet.be ; ; Trib. Namur, 28 juin 2006, R.G. 678-2001, cité par P.-Fr. COPPENS, V. DECKERS, op.cit., p. 215 (méthode du Code des successions) ; Trib. Louvain, 08 avril 2016, R.G.14/2421/A, Cour. Fisc., 2016/608 ; pour la méthode VERHEYDEN : Anvers, 14 février 2012, R.G. 2010/AR/2964, fisconet.be ; pour la méthode VEHOEYE : Mons, 30 novembre 2009, fiscalnet.be. [6] Jugement en matière d’usufruit sur actions, cité par : Ph. SALENS, op.cit., pp. 102 et ss. [7] Q.P. n°23.730 de Mme Van Cauter du 21 février 2018. [8] Cass., 27 mars 1992, Pas., 1992, I, p. 680 ; Cass., 13 février 1997, Pas., 1997, I, p. 223 ; Cass., 11 mai 1998, Bull., 1998, p. 546 ; voy. ég. Cass., 11 février 2011, Pas., 2011, p. 490, n° 123. Voy. ég. Cass., 26 février 2016, F.15.0016.F, juridat.be ; Cass., 2 septembre 2016, F.14.0206.N, juridat.be. [9] Disposition telle qu’applicable en Région de Bruxelles-Capitale et Région wallonne ; voir l’article 2.9.3.0.4 du Code Flamand de la Fiscalité en Région flamande. [10] Déc. E.T., 3 novembre 1958, n°E 47/01-01 ; voy. ég. : Werdefroy, Droits d’enregistrement, Kluwer, 2010-2011, n°721. [11] J. VERHOEYE, « De turbo vruchtengebruikconstructie », F.E.T., 15 décembre 2000. [12] J. RUYSSEVELDT et P. JANSSENS, “De waardering van het tijdelijk vruchtgebruik, anders bekeken…”, Not.Fisc.M., 1999/5, p. 107. [13] Cf. Décisions anticipées 2014.006 du 28 janvier 2014 (2%) ; n°2015.413 du 29 septembre 2015 (1% – usage propre) ; n°2015.138 du 1 septembre 2015 (2,5 % – location) ; 2012.450 du 30 avril 2013 (1% – usage propre). [14] À comparer avec le taux fixé forfaitairement à 4 % dans le Code des droits d’enregistrement – cf. supra. [15] Les taux OLO sont actuellement de 1,26 % à 20 ans et 1,56 % à 30 ans ; cf. https://www.lecho.be/interets/, consulté le 19 avril 2018 ; sur l’historique, voy. http://sdw.ecb.europa.eu/browse.do?node=bbn4864. [16] Source : http://fr.inflation.eu/taux-de-inflation/belgique/inflation-historique/ipc-inflation-belgique.aspx, consulté le 19 avril 2018. [17] Voy. not. : K. VERHEYDEN, « Waardebepaling van vruchtgebruik op onroerende goederen », AFT 2011, 23, qui considère qu’une actualisation au taux uniforme de 4 % sera généralement approprié dans un contexte d’inflation normal ; dans le même sens, J.L. LEDOUX, « Évaluation capitalisée de l’usufruit : où actuaire et juriste doivent faire bon ménage », in Liber Amicorum Paul Delnoy, Larcier, 2005, p. 319. [18] Voy. not. Trib. Louvain, 8 avril 2016, Fisc. Koer., 2016, p. 610, discuté par P. SALENS, « Gesplitste aankoop : VE = VG + BE », Fisc. Act., 2016, 22, p. 5 ; S. VAN CROMBRUGGE, « Usufruit et avantage de toute nature : comment évaluer ? », Fisc., 2016, 1485, p. 8 ; Trib. Louvain, 27 juillet 2016, Fisc. Koer., 2016, p. 750, discuté par C. BUYSSE, « Waardering vruchtgebruik », Fisc., 2016, 1490, 10. [19] Ph. SALENS, op.cit., p. 105. [20] Sans compter qu’à l’infini, c’est également l’usufruitier qui s’accapare la plus-value / moins-value sur le bien. Il apparaît dès lors naturel que le taux d’actualisation soit inférieur au taux de rendement locatif ; contra : Trib. Louvain, 8 avril 2016, op.cit. [21] Ph. SALENS, op.cit., p. 105. [22] Et cette maturité inférée de tables de mortalité également réglementées. [23] Cette formule aboutira donc à une sous-évaluation des usufruits, vu le rendement normalement plus élevé offert dans le marché immobilier. [24] S’agissant du SDA : voy. Décision anticipée n°900.432 du 27 avril 2010, point 31 ; pareille condition est restée exceptionnelle et n’a plus été reprise en tant que telle. [25] Voy. Décision anticipée n°2016.404 du 5 juillet 2016 ; voy. ég. point 22. [26] Cf. Décisions anticipées n° 2017.780 du 28 novembre 2017 ; n°2017.372 du 6 juillet 2017 ; n° 2016.141 du 12 avril 2016. [27] Cf. Décision anticipée n° 2017.492 du 12 décembre 2017. [28] Cf. Décision anticipée n° 2016.645 du 8 novembre 2016 ; vu les valeurs renseignées dans la décision, la durée résiduaire devait être d’environ 5 ans ; pour d’autres cas, voy. not. Décisions anticipées n° 2015.447 du 12 avril 2016 et n° 2012.411 du 27 novembre 2012. [29] Voy. not. : P.-Fr. COPPENS, V. DECKERS, op.cit., p. 216. Pour un exemple de valorisations alternatives, voy. : Décisions anticipées n°2017.780 du 28 novembre 2017 ; n°2013.357 du 21 janvier 2014.
Posted in IPP