Déduction TVA même sans répercussion des coûts en aval : application dans le secteur du leasing automobile *

  Après avoir rendu un arrêt sur la qualification des contrats de leasing avec option d’achat comme « prestation de service » ou « livraison de bien »[1], la Cour de justice s’est penchée cette fois sur le traitement TVA de la location-vente et, plus particulièrement, la déductibilité TVA des coûts exposés en amont par le donneur en leasing avec, en prime, de nouveaux développements sur le concept de « lien direct et immédiat »[2]. Qu’en est-il ? L’affaire en cause concernait cette fois Volkswagen Financial Services Ltd (VWFS), toujours au Royaume-Uni, relativement à ses activités de « location-vente » de véhicules consistant essentiellement en leurs ventes à tempérament avec certaines garanties réglementaires, et traitées à la TVA comme (i) une livraison de véhicule (soumise à la TVA) doublée de (ii) l’octroi d’un crédit (exonéré de TVA). La question portait sur le prorata de déductibilité TVA des « frais généraux » de VWFS liés à cette activité (à savoir essentiellement, ses frais d’administration journalière, de formation, recrutement, repas et boissons du personnel, d’IT, de locaux et de papeterie), que l’administration entendait réduire à la portion congrue, dès lors que, conformément à la réglementation britannique, les véhicules y sont refacturés à prix coûtant par VWFS à ses clients tandis que ses frais généraux (et sa marge bénéficiaire) leur sont entièrement répercutés dans les taux de financement pratiqués (donc la partie exonérée de TVA).

Dissociation du contrat de location-vente

La Cour écarte, d’abord, les préventions soulevées par son avocat général qui y voyait une opération unique à soumettre à la TVA pour le tout ; elle estime, au contraire, que les contrats en cause ont valablement pu être décomposés en une livraison taxée et un crédit exonéré (point 34) [3].

Déduction sans répercussion des coûts

De jurisprudence établie, le droit à déduction requiert que les dépenses concernées présentent un « lien direct et immédiat » avec (i) « une ou plusieurs opérations en aval ouvrant droit à déduction » ou, à défaut, (ii) « font partie des frais généraux de [l’assujetti] et sont, en tant que tels, des éléments constitutifs du prix des biens ou des services qu’il fournit » (points 41 et 42). Selon la Cour, dès lors que l’examen des faits révèle que les frais généraux en cause entretiennent bien un « lien direct » avec « l’ensemble des activités de VWFS, et non pas uniquement avec certaines de celles-ci », la décision de la société « d’incorporer ces frais » exclusivement dans le prix de ses opérations exonérées « ne saurait avoir une quelconque incidence sur une telle constatation de fait » (point 43). Suivant les méthodes admissibles pour fixer l’étendue du droit à déduction (c’est-à-dire au prorata des chiffres d’affaires ou selon l’affectation réelle avec des clés plus précises), la Cour conclut que, même si les frais généraux en cause sont répercutés dans la seule partie exonérée des opérations, ils doivent « néanmoins » être considérés comme un « élément constitutif du prix » de la livraison (taxée) du véhicule et, dès lors, le prorata de déduction doit tenir compte de « la valeur initiale du bien concerné lors de sa livraison » (dispositif).

Observations

Ces faits sont largement transposables en Belgique, où la vente à tempérament se voit en règle aussi décomposée en un volet livraison et un volet crédit selon la valeur au comptant reprise au contrat [4]. L’arrêt revêt cependant un intérêt notable dans la mesure où la déductibilité de la TVA y est admise à l’égard de frais indépendamment du fait qu’ils aient été répercutés dans la seule partie exonérée des opérations de l’assujetti. Cette position témoigne à nouveau d’une appréciation résolument « objective » du « lien direct » applicable en matière de déduction, à justifier au regard du « contenu objectif » et de la « cause exclusive » des opérations concernées [5]. Tout étant question de circonstances, la Cour se réfère elle-même à une autre affaire de crédit-bail automobile, mais pratiqué par un organisme bancaire, où il avait été constaté au contraire que les frais étaient « avant tout » occasionnés par « le financement et la gestion » des contrats (et non pas la livraison des véhicules)[6].  
Eric-Gérald Lang – info@langlegal.be – Tous droits réservés.   * Texte reproduit avec l’aimable autorisation des éditions Anthemis (cf. B.J.S., février 2019-2, n°623, p. 12, disponible sur www.lebulletin.be). [1] Cf. CJUE, 4 octobre 2017, Mercedes-Benz Financial Services UK Ltd, C-164/16, obs. in B.J.S., mai 2018, n° 608, p. 12. [2] Cf. CJUE, 18 octobre 2018, Vokswagen Financial Services UK Ltd, C-153/17, disponible sur www.curia.eu. [3] Cf. not. aff. C-153/17, préc., opinions Av. gén. Szpunar, 3 mai 2018 ; voy. ég. CJUE, 27 octobre 1993, Muys’ en De Winter, C-281/91 ; 23 avril 2015, Property Development Company NV, C-16/14 ; et 17 janvier 2013, BGZ Leasing, C-224/11 ; disponibles sur www.curia.eu. [4] Cf. Comm. TVA, éd. 2018, Chap. 6, Section 3.6 ; Q.P. n° 203 de M. Christian Brotcorne du 19 janvier 2009 ; voy. ég. : art. VII.78, § 3, du Code de droit économique. [5] Cf. not. CJUE, 17 octobre 2018, Ryanair, C-249/17, point 28 ; 14 septembre 2017, Iberdrola Inmobiliaria Real Estate Investments, C-132/16, point 28 ; et 21 février 2013, Becker, C-104/12, point 22 ; disponibles sur www.curia.eu. [6] Cf. CJUE, 10 juillet 2014, Banco Mais, C-183/13, points 30 et 31, disponible sur www.curia.eu.  
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